
Une fois de plus, le Congo-Brazzaville est rattrapé par une crise sanitaire. La première ville du département du Niari, Dolisie, connaît trois épidémies à la fois, à savoir le choléra, la fièvre typhoïde et la shigellose, ayant fait selon les autorités une douzaine de morts. Pour le docteur Thierry-Paul Ifoundza, médecin-pneumologue exerçant en France, et écrivain – il est l’auteur d’un pamphlet intitulé Congo-Brazzaville/Un Système de Santé dystopique –, ce chaos relève de l’incompétence et de l’incurie des autorités sanitaires du Congo. Interview.
Selon vous le système de Santé du Congo reste une dystopie ! Pourquoi ?
Thierry-Paul Ifoundza : Il y a 3 ans, je publiais à Z4 éditions mon premier ouvrage sur le système sanitaire congolais sous le titre Congo-Brazzaville – Un Système de Santé dystopique. Ma préoccupation première était d’attirer l’attention de la communauté nationale (médicale et non médicale) et internationale sur ce système qui est un électro-encéphalogramme plat, et qui représente donc une menace existentielle pour le Congo. Dans ce livre, je ne me limite pas seulement à la critique, j’y apporte également quelques ébauches de solutions à ce vide médical. Mais chaque jour qui passe, les pertes de vie humaine au Congo se comptent par centaines, pour manque de soins médicaux. La sonnette d’alarme a-t-elle fonctionné ? Mes cris d’alarme ont-ils été entendus par les autorités politiques et sanitaires congolaises ? J’ose dire que les hautes autorités sont bien informées de la parution de cet ouvrage. Mais cette dystopie sanitaire n’a pas fléchi. Et au moment où la partie sud du pays, principalement la ville de Dolisie, est secouée de façon simultanée par trois épidémies, à savoir le choléra, la fièvre typhoïde et la shigellose, ce sujet du vide médical est plus que jamais d’actualité.
En pareilles circonstances, que peuvent faire les autorités sanitaires ?
TPI : Dans un pays dirigé par des autorités politiques et sanitaires compétentes et responsables, l’on aurait assisté à une riposte prompte et efficiente sur le terrain, d’autant plus que le Congo-Brazzaville est un petit pays. Elle aurait dû être constituée d’une prise en charge médicale des patients, d’un renforcement des capacités de l’équipe départementale de médecine préventive, d’une coordination des instances politico-sanitaires locales et nationales. Il y aurait alors eu moins de pertes en vie humaine, et les différents maillons de propagation de ces épidémies auraient pu être identifiés. Autrement dit, les sources d’infection et les vecteurs de propagation identifiés. Mais en réalité, rien de tel.
Vous voulez dire la cause de ces épidémies n'est pas encore identifiée ?
TPI : Le professionnel de santé que je suis, reconnais que ces trois épidémies sont transmissibles par voie oro-fécale (c’est-à-dire par l’ingestion d’eau ou aliments contaminés par les selles d’une personne infectée. Or il n’est point de rappeler ici que bon nombre de localités africaines en général, et congolaises en particulier, sont des dépotoirs d’immondices, d’excréments, etc. Comme si c’était une norme, la ville de Dolisie n’y échappe pas, puisqu’il y a quelques mois, les internautes voyaient circuler sur les réseaux sociaux les images de déchetterie de Dolisie en plein air. Cette exhibition était-elle prémonitoire de cette catastrophe sanitaire ? Je ne peux y répondre. Or il suffit d’une pluie pour que se déversent dans la ville les différentes plantations du voisinage, pour que se répandent les microbes ou germes qui pullulent dans ce genre de déchetteries. L’absence d’eau potable dans un pays entouré de multitude de cours d’eau est aussi un autre élément de cette dystopie sanitaire.
Selon vous, est-il trop tard pour endiguer ces épidémies ? Ou faut-il s'attendre au pire?
TPI : Ne soyons pas catastrophistes! Mais ce que je déplore, ce n’est pas tant l’apparition de ces épidémies que l’absence d’une riposte sanitaire efficace et efficiente. L’histoire de l’humanité est marquée par la survenue d’épidémies ou des pandémies dans différents coins de la planète. Mais les hommes ont appris à se défendre pour protéger les populations. Dans le cas de Dolisie, je constate que la réponse des autorités politiques et sanitaires congolaises se résume tristement à la collecte des fonds ! Du président du Congo, Sassou, en passant par ses membres du gouvernement, la campagne de collecte des dons devient un acte pour lequel ces derniers pavoisent. L’on a vu, d’ailleurs, un des ministres de Sassou, Pierre Mabiala, animer une réunion de collecte de dons dans une salle climatisée. Sans vergogne, ces autorités s’érigent donc en association caritative. Mais je me pose une question : en quoi une collecte ou un recensement des dons peut-il constituer, en soi, une riposte sanitaire ? Dans Congo-Brazzaville - un Système de Santé dystopique, je disais que « les quatre épidémies du virus Ebola et des épidémies de choléra survenues après la guerre civile de l’année 1997 (qui a opposé Sassou à Lissouba), n’ont pas emmené les autorités sanitaires congolaises à instaurer un dispositif efficace et de riposte sanitaire ». Et d’ajouter : « … La faune politico-médiatique, sanitaire surtout, c’est « l’homme sans qualités » de Robert Musil. Non pas que cette faune manque d’intelligence ou de diplômes ! Elle est tout simplement dépourvue de spontanéité et de gravité. Elle s’enferme dans des salles climatisées pour réfléchir à une urgence, sans résultats. Conséquence : elle bat en retraite quand arrive la catastrophe ». Aujourd’hui, face à une crise sanitaire qui ébranle Dolisie, la troisième ville du pays, l’attitude des autorités congolaises est en deçà des attentes des populations.
À vous entendre, le Congo est toujours en retard sur les crises sanitaires, sinon inexistant...
TPI : Rappelez-vous la crise sanitaire consécutive aux explosions d’un dépôt d’armes de guerre dans un quartier résidentiel de Brazzaville ! Nous étions alors en le 4 mars 2012. Le système sanitaire de Sassou était mis à nu, à la grande stupéfaction des professionnels de santé de la République Démocratique du Congo et du Royaume du Maroc venus en renfort. Au sortir de cette épreuve, les autorités congolaises semblaient avoir tiré des leçons de leur incurie, en promettant de mettre en place une structure de gestion des catastrophes sanitaires, dont la direction fut confiée au professeur Elira Alexis Dokekias, alors DG au ministère de la santé de l’époque. Ö que non ! Des fonds furent débloqués à cette fin, mais en fait, « le système Sassou a toujours fonctionné comme ça : on lance un projet, qui parait de premier abord salutaire, puis on débloque les fonds pour le mener à bien, s’en suivent des réunionites moyennant le versement des primes – la condition sine qua non de participer à ce genre de réunions. Et les responsables de multiplier indûment ces réunions avec les même participants, parfois fictifs, pour épaissir leurs primes. À la fin, aucun projet n’aboutit ». De fait, les gesticulations orchestrées par les autorités politiques et sanitaires sur la crise sanitaire de Dolisie, n’est qu’un aspect, parmi tant d’autres, de la dystopie sanitaire congolaise. De mon point de vue, elle requiert une solution systémique au sommet de l’État congolais.
Propos recueillis par la Rédaction