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Livre « Regard sur Anatole Collinet Makosso » : encéphalogramme plat, crime de lèse-majesté !

Publié le Mardi 19 Juillet 2022
Livre « Regard sur Anatole Collinet Makosso » : encéphalogramme plat, crime de lèse-majesté !

En fin de compte, je ne suis pas mécontent de la parution de « Regard sur Anatole Collinet Makosso », parce que ce « livre » - j’use des guillemets à dessein – éclaire d’une lumière terrifiante le Congo d’aujourd’hui et montre à quel point la pseudo-élite congolaise reste encalminée dans une inamovible vacuité… Carrément au ras des pâquerettes… Je suis en réalité l’initiateur de ce projet : au lendemain de sa nomination à la Primature, j’envoie au nouveau premier ministre congolais le projet d’un livre d’entretiens sur son parcours et son narratif politique, sans complaisance, pour les éditions R. Laffont/Mareuil. Projet refusé mais détourné, semble-t-il, par quelques cervelles  liquéfiées, des Rastignac mâtinés de  Rupembré, des cancres du passage en Terminale de  l’imposture…

(Que l’on prenne ma philippique pour un règlement de comptes, ça n’est pas mon problème ! Chacun est libre d’émettre un jugement, après tout. L’inimitié, du reste, ne m’effraie pas. Et je vénère mes ennemis.) Mais revenons vite à l’essentiel !

Il n’y a pas que le gaz à effet de serre qui contribue au réchauffement climatique ! Non ! Il y a aussi la pollution livresque ! Le livre sur Anatole Collinet Makosso, autant le dire tout de suite, libère des odeurs méphitiques à n’en plus finir. Au fil des pages, il faut se couvrir le nez... Eh oui, certains écrits ont un point commun avec le Covid : ils mutent en permanence et, très contagieux, peuvent nuire gravement à la santé de tout un peuple.

Plus cher – 24,5 euros pour 231 pages – que le prix Goncourt 2021 – 22 euros pour 459 pages -, « Regard sur Anatole Collinet Makosso » constitue une apodictique constellation de fautes (quelqu'un, au sein de L’Harmattan Congo, a-t-il vraiment pris la peine de travailler ce texte ? Je vous épargne le nombre de fautes qui jonchent les pages), de raccourcis, d’incohérences, de jugements à l’emporte-pièce, etc. Toutefois, et il faut le souligner, certains locuteurs ne se mouillent pas trop, ils restent à la lisière à l’image d’Isidore Mvouba et de Grégoire Lefouoba, lesquels préfèrent tourner en rond et se répéter. Arsène Séverin, lui, a eu l’intuition d’une synthèse très fluide – le livre aurait dû commencer par son papier – sans prendre vraiment position. Tout juste recommande-t-il au premier ministre d’oser. Sous-entendu : Anatole Collinet Makosso manque de courage. C’est de cette façon-là que, à tout le moins, je perçois la chute du papier d’Arsène Sévérin. En un seul mot, il étale la cruauté de son style. Sa beauté, je veux dire.

Un aveu : je me suis trituré les méninges pour identifier la nature du texte. Est-ce une  biographie ? Si les statuts des narrateurs et celui de l’énonciateur m’ont paru clairs dès la première de couverture, déceler les techniques stylistiques ont en revanche relevé de l’impossible. Ô souffrance !...

Le malaise commence dès l’ouverture. « À Libreville, un match de foot entre le Gabon et le Congo fut soldé… » (p21) Il est dit que ce « livre » a été lu et relu, corrigé et recorrigé. Mais alors comment ont-ils pu laisser cette abominable faute ? Selon Le Larousse, « solder »signifie dans son aspect transitif « l’acquittement d’une dette et, dans sa forme pronominale, « le résultat final ». En l’espèce, je crois savoir qu’il s’agit du résultat final du match entre le Gabon et le Congo. Réécriture : « Lors du match de foot Gabon/Congo, qui se solda par la victoire du pays hôte… » Dans ce premier paragraphe, le résultat du match n’étant pas la conséquence, mais la cause de ce qui allait advenir, il convenait de le mettre en subordonnée relative appositive.

Plus loin, le locuteur a sans doute voulu narrativiser la naissance (et pourquoi pas la nativité ?) de l’énonciateur. L’intention n’est pas mauvaise en soi. Mais il s’y est mal pris. La première phrase renvoie à l’information principale avec une atmosphère. De fait, les phrases suivantes auraient dû être au plus-que-parfait, puisqu’elles précèdent cette information. En somme, il eût fallu un défilement temporel. Au lieu de ça, le locuteur s’est embourbé dans un abus de l’aspect aoristique, qu’il ne maîtrise pas. Dans ce « livre », le passé simple est violenté. Saccagé. Surtout que la forme passive y est légion. « Il fut contraint » ; « Il fut retenu » ; « Il fut apprécié » ; « Il fut attiré » ; « Il fut aimé », etc.  Quoi ? Anatole Collinet Makosso ne serait plus « apprécié ni aimé » aujourd’hui ? Merci pour l’insinuation !...

Trêve de plaisanterie ! Le reste n’est que remplissage. De la page 50 à la page 92, rien à se mettre sous la dent, ce ne sont que des extraits de quelques bricoles d’Anatole Collinet Makosso. Toutefois, comme par miracle, au milieu de cet encéphalogramme plat se trouve une lueur… Oui, il m'a fallu patienter jusqu’à la page 45 pour pouvoir lire, passablement médusé, une vue non pas originale mais intéressante, dans la mesure où elle concourt à faire passer l’énonciateur pour ce qu’il n’est pas. « Il déteste la procrastination », est-il dit dans son portrait psychologique immensément bâclé. « Procrastination » : terme très littéraire. J’en raffole, je dois l’avouer. Mais qu’est-ce qui justifie le non-louvoiement chez Makosso ? Ah je vois : à la page 97, il est décliné ses grandes œuvres qui, aussitôt décidées, aussitôt réalisées. Il s’agit de « la relance des colonies de vacances ; les chantiers-vacances ; les centres d’encadrement et d’orientation de la jeunesse ; la réhabilitation des auberges de la jeunesse » ; voire même « l’uniformisation des tenues scolaires », etc. Sans blague ! Non pas, entendons-nous bien, que Collinet Makosso ne soit pas capable de relancer les colonies de vacances ! Mais est-ce l’urgence ? Et, d’ailleurs, ses colonies se passaient sous quels critères ? J’imagine que les élèves de son complexe scolaire ont été les plus favorisés ! Le problème est que, ministre de l’Enseignement, Anatole Collinet Makosso a lamentablement échoué en tout point et qu’il est loin d’avoir la carrure d’un Boussoukou-Mboumba ou d’un Tati-Loutard, contrairement à ce que pense Brice Mankou, en thuriféraire patenté - « le Congo est un pays qui peut s’estimer heureux d’avoir un Premier ministre qui porte, chevillé au corps, l’amour de sa patrie » (p168). Le niveau scolaire au Congo est pitoyable, ça se ressent jusque dans cette pollution livresque intitulée « Regard sur Anatole Collinet Makosso »… Dans le documentaire pour une chaîne française, dont la première partie a été tournée en partie en caméra cachée, que j’ai coécrit, « École publique congolaise : chronique d’une mort annoncée », un intervenant, et pas des moindres, pilonne Anatole Collinet Makosso pour avoir bâti des ersatz d’école. (Nous y reviendrons dans les mois à venir).

Au lendemain du pseudo premier tour des élections législatives, Le troubadour de Brazzaville a publié sur sa page Facebook trois photos superposées, celles du premier ministre, du ministre de la communication et de la ministre des PME, en train de voter. Et l’hebdomadaire de demander, avec une splendide cruauté qu’on ne lui connaissait pas, le point frappant entre ces trois images. Un seul constat. Une seule réponse : l’état de délabrement des classes où ont eu lieu les votes. Encore que le mot « délabrement » soit faible… Terrible contradiction entre la réalité et le discours abstrait et abscons des laudateurs ! Sachant que leur champion allait accomplir son devoir dans une salle du paléolithique et qu’il allait être pris en photo, pourquoi n’avait-il pas songé à la faire repeindre à fond de train, cette salle ? De quelle réussite parle-t-on lors de son passage au ministère de l’Enseignement quand huit adolescents sur dix, voire même des profs de lycée et d’université, sont incapables d’articuler un paragraphe parfait ? 

Dans son portrait moral – qui, faute de structure, une sructure stricte, se confond parfois avec le portrait psychologique -, il est écrit que Collinet Makosso est un homme épris d’humanisme, un homme de tolérance, « un homme sans pareil, un homme pétri d’humilité, de sagesse, de bon sens, d’amour pour sa patrie et d’attachement à la jeunesse » (p222). C’est peut-être vrai tout ça. Mais la tolérance, surtout, répugne à la sélectivité. Une tolérance élastique, à géométrie variable, devient forcément de l’intolérance. Si Anatole Collinet Makosso paraît être un « libre penseur », du moins selon les laudateurs, il est loin d’être un « penseur libre », celui-là qui use librement de la raison pour tenter d’accéder pleinement à la tolérance…

« Il faut suivre la trame de la vie de l’individu avant de se lancer dans des ovations, des invocations bien souvent mal accordées », écrit Poaty Fumu (un nom inconnu malgré mes recherches ; une invention ? ) à la page 144 comme un bémol aux cris des laudateurs – hélas, son récit se dilue par la suite dans le flot ininterrompu de la louange.

Je m’attendais à des « Regards croisés » sur des sujets factuels et, surtout, structurels du Congo de 2022 dont il dirige le gouvernement. Que pense-t-il des détournements de fonds dont sont suspectés certains membres la famille régnante ? Que pense-t-il de la corruption systémique ? Que pense-t-il du phénomène des « Bébés noirs » ?... Ces sujets auraient mérité des avis contradictoires entre les laudateurs. Rien de tel. Paraît-il que, pressés, ils voulaient que leurs louanges sortent en février. 

Dans l’un de vos livres, « Droit de regard », Anatole Collinet Makosso estime que « la vie politique congolaise est donnée à voir comme un roman de série noire, avec ses intrigues, ses retournements de situation, ses personnages fantasques (…) Et bien sûr, des zones d’ombre… Dans la course, tous les artifices sont permis, y compris le recours au référent ethnique ou religieux. Peu importe les ravages causés… » Questions : a-t-il recouru au référent ethnique ou à quelque autre astuce pour y arriver ? Comment a-t-il pris la sortie immonde des Sages du Kouilou (Sages du Niari, Sages du Pool, Sages des Plateaux, etc, le Congo est devenu une juxtaposition d’intérêts !) à sont sujet ? (« Le Conseil des dignitaires de Buali et les Sages du Kouilou à l’unisson remercient et félicitent mr le président Sassou-Nguesso pour avoir pensé à nommer notre fils Anatole Collinet Makosso en qualité de Premier Ministre. Un acte de haute portée qui fait l’honneur et le bonheur de tout le peuple kouilois.»)

Comme dirait l’autre, j’attends de Collinet Makosso, « s'il en est bien évidemment capable, non point l'illustration spéculaire, sans cesse reflétée au miroir de l'intention de l'acte plutôt que de l'action réelle », non pas la politique de l’intention, mais la politique de l’acte. Voyez-vous, la politique et la narration ont ceci de particulier qu’elles ne tolèrent pas le verbe contrefactif ; l’une et l’autre n’existent que dans la réalisation du procès. Où en est-il avec ses douze travaux d’Hercule ? L’un des laudateurs semble le dédouaner en ânonnant qu’en un an on ne peut rien faire. Vraiment ? Le Congolais a une curieuse façon de tordre le réel, de le réécrire. Il place toujours une école de pensée, un argument à priori, une abstraction au-dessus de la réalité. Pour tout dire, il ne comprend aucune réalité que celle qui l’aide à manger ou à rouler dans un 4x4 dans les rues boueuses de Brazzaville ou de  Pointe-Noire.

Oui, sur les routes du dithyrambe, où Anatole Collinet Makosso a été chanté, on est monté très haut, tellement haut... Mais je ne suis pas certain de ce que toutes ces louanges reflètent le réel.

Escroquerie au vocabulaire

Tandis j’entendais ce ramassis de dithyrambes qu’est « Regard sur Anatole Collinet Makosso », m’appelais avec insistance le roman apocalyptique 2666 de Roberto Bolaño, un roman qui aurait pu se passer au Congo tant l’écriture et la langue sur les violences mexicaines s’y déploient avec une acuité terrifiante, « presque démesurément, c’est comme pour s’opposer à une incapacité à s’exprimer devant l’horreur ». Une lecture, écrit un critique littéraire, qui commence « avec un coup de pied aux testicules de l’auteur et voir immédiatement en celui-ci un homme de paille, un factotum au service de quelque colonel des Renseignements, ou peut-être de quelque général avec des prétentions d’intellectuel ». Nombreux sont les passages qui dénoncent par l’humour cette complicité des intellectuels avec le pouvoir – ainsi de ces écrivains mexicains amadoués par un système gouvernemental de bourses. Ils vivent « de dos » à la réalité, incapables de percevoir quoi que ce soit, continuant à employer « la rhétorique là où l’on a l’intuition d’un ouragan ».

Dans le « livre » sur Collinet Makosso, de la page 135 à la page 140, s’étale une sublime ineptie sur le statut « d’intellectuel » du premier ministre. Sacrilège ! Crime de lèse-majesté ! Et, entre cette vacuité et son fabuleux conte paru récemment, Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin, je n’ai pas reconnu l’auteur.

Pour lui, le fait que Collinet Makosso ait publié une bricole sur l’affaire dite des « Disparus du Beach », le fait qu’il ait riposté à une autre bricole sur « le génocide des Laris », font de lui un « intellectuel ». D’ailleurs, à propos de la bricole de Collinet Makosso sur « le génocide des Laris », je crois savoir que quelqu’un avait refusé de la préfacer, parce que pour une bricole, c’en était une. Absence de méthodologie, absence de structure et de construction. Pour François Onday Akiera, Collinet Makosso a éclairé les Congolais. Mon œil ! Il a éclairé son propre chemin, oui ! Combien de Congolais ont-ils lu ses « livres » ? 

Le problème, voyez-vous, est que le Congo est l’un des pays au monde avec zéro intellectuel. Charles Zacharie Bowao, qui, dans une vidéo décline les conditions d’un intellectuel, a maintes fois tenté d’y accéder avec plus ou moins de succès. Il a comme fait preuve d’une clairvoyance a posteriori : quand il était ministre, il n’avait pas cette liberté de ton qu’il a eue par la suite. Etre intellectuel, c’est refuser la compromission. Intellectuel et politique ne font pas bon ménage : on ne peut être juge et partie.

Quant au débat sur le changement de la Constitution de Sassou, François Onday sait bien que ce débat ne pouvait pas être politique mais philosophique ou moral. Et c’est Pierre Mabiala qui, consciemment ou inconsciemment, l’avait fait glisser sur le terrain politique… Anatole Collinet Makosso, alors ministre, n’avait aucune légitimité philosophique à monter au créneau, si ce n’est pour aider la criminocratie à régner davantage. À l’un de ses factotums, j’avais soumis le projet de faire intervenir Anatole Collinet Makosso à Sciences Pô Paris pour un débat avec les étudiants sur le changement de Constitution au Congo et, accessoirement, sur « l’engagement de la littérature ou l’engagement dans la littérature ».   Là aussi, demande zappée.

François Onday est tellement emballé par Anatole Collinet Makosos que, dans le titre de sa louange sans saveur, il met deux points à la place d’une virgule… Avec une faute de conglobation, il fait un abus de l’adverbe « enfin » comme conjonction de coordination. Il parle avec une telle autorité qu’on le croirait détenteur de la vérité, et, sans vent ni marée, déblatère à l’infini ses effets rhétoriques, ses mantras faussement dialectiques, « avec le ton du magicien, de paradoxes souvent compagnons de route de paralogismes ou de purs effets de langage ». Incompréhensible !

De la même manière qu’on a pris Henri Lopès pour un grand écrivain alors que c’est une sommité du lieu commun et de l’écrit discursif, du « roman qui pense » pour reprendre Milan Kundera, on essaie de prendre Anatole Collinet Makosso pour un « intellectuel ». Pouah ! Combien d’ateliers de la pensée a-t-il organisés ? À combien de conférences a-t-il été invité ? Balzac a laissé plus de 300 livres, ce n’est pas pour autant qu’il était intellectuel. Il était écrivain, un point c’est tout. Le diplôme confère le pouvoir et non l’autorité…  Le savoir est une chose ; la connaissance  - couplée à l’engagement - en est une autre.

Je ne doute pas un seul instant de la farouche volonté d’Anatole Collinet Makosso d’accéder un jour au statut d’écrivain (au Congo, après la disparition des monstres sacrés, Jean Malonga, Tchicaya U’Tamsi, Sony Labou Tansi, Sylvain Bemba, Tati-Loutard, Côme Mankassa, Ngoïe-Ngalla, Letembet-Ambilly et Daniel Bayaoula – l’ouvrier du nouveau roman -, il n’en reste plus que six : Mambou Aimée Gnali, Alphonsine Nyélénga Bouya, Tchichellé Tchivèla, Emmanuel Dongala, Alain  Mabanckou et Wilfried Nsondé ; les autres, moi-même y compris, ne sont que des auteurs). Mais je n’ai pas remarqué chez le premier ministre ce qu’il est ce qu'il est convenu d'appeler une langue. La tentative d’écriture – et non l’écriture – d’Anatole Collinet Makosso est transitive… Or on sait depuis Roland Barthes que le mot « écrivain » renvoie irrémédiablement, obligatoirement, au mot « langue ». Je m’amuse à rassembler et à décortiquer ses discours (en vue d’un livre ?), je dois dire que le compte n’y est pas.  

À y regarder de plus près, les laudateurs, qui ont balancé des trucs sur Anatole Collinet Makosso, ressemblent aux personnages de L’homme sans qualités de Robert Musil. Non pas qu’ils manquent de savoir, mais ils sont dépourvus d’imagination !...

Bedel Baouna, le dandy-pamphlétaire

« Nzété ébétéla kaké, ébangaka té likolo éyinda. »

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