
Ancien ministre et prof de philo à Marien Ngouabi, Grégoire Lefouoba a été nommé Conseiller spécial chargé de la coopération culturelle et de la formation, auprès du premier ministre (de fait) Clément Mouamba. Décryptage.
« C’est facile, tellement plus facile de mourir de ses contradictions que de les vivre », chantait allègrement Albert Camus. Il y a quelques semaines, Grégoire Lefouoba réagissait à un article (ndrl : Les désillusionnés de la Nouvelle République) railleur sur ceux et celles qui mourraient d’envie de devenir ministres. Extrait : « (…) je suis en capacité absolue de diriger n'importe quel ministère. Un professeur qui est activiste politique ne peut rougir si les réseaux sociaux le jugent logiquement en mesure d'être Ministre… » Voilà ! Il est en capacité de diriger n’importe quel ministère et c’est lui-même qui le dit. Et, à défaut d’avoir été nommé ministre, il est le Conseiller spécial de Clément Mouamba. Problème : le premier ministre du Congo est illégitime, le gouvernement qu’il dirige est issu d’un hold-up électoral. Une négation de la démocratie. Or, dans une interview de 2015 parue dans La Tribune d’Afrique, Grégoire Lefouoba faisait un constat amer sur la démocratie au Congo : « Notre démocratie est en panne faute de démocrates. Il y a une élite parasitée par la facilité et le mensonge, la roublardise et même la flagornerie. La démocratie dans un pays se manifeste par la contradiction érigée en système méthodique et le lieu de vérification c'est au niveau des médias d’État. Je remarque que les médias d'état sont devenus ceux du gouvernement comme au vieux temps de la guerre froide, du règne de la Pravda. J'observe par exemple qu'il n'y a aucune émission de débat contradictoire, il y a une propension au monologue. » Et le prof de philo de poursuivre, plus loin : « Manifestement le Congo est entrain de tourner le dos à la démocratie "moderne", civilisée et consciente des enjeux de l'évolution de l'humanité. Dans quel pays au monde où le Député devient le constructeur d'écoles ou d'Hôpitaux, distributeurs de produits pharmaceutiques, des soins infirmiers, des actes médicaux ? Et puis, on laisse faire, on embrouille le peuple, la population. On est en train de créer une démocratie du faire semblant, des vrais faux riches. On expose la population à la corruption et au viol des consciences. De cette manière, on infantilise les gens. Leur misère devient un appât pour exhiber notre générosité de circonstance, honteusement exprimée. A cette allure, on va bien regretter le monopartisme qui au moins avait une puissante Commission de contrôle et de Vérification du PCT pour veiller à l'éthique des hommes et femmes politiques. »
Une déformation professionnelle
Aurait-il rejoint lui-même la caste de cette élite parasitée par la facilité et le mensonge ? Est-ce en intégrant le cabinet illégal de Clément Mouamba que Grégoire Lefouoba va inverser la tendance néfaste qu’a prise la démocratie au Congo ?... En tout état de cause, sa nomination comme Conseiller du premier ministre de fait participe plus d’une quête permanente de lumière que d’une réelle volonté politique. Sans doute lui offrira-t-on une circonscription lors des législatives à venir. Par sa présence aux côtés de Clément Mouamba, en tout cas, Grégoire Lefouoba cautionne la forfaiture. Dès lors, il devrait se taire et, pour reprendre sa propre métaphore, tourner le dos à l’emphase, à la locution adverbiale, au complément d’objet direct, dont il est coutumier. Par ses contradictions pitoyables, Grégoire Lefouoba alimente les turpides que pourtant il étrille dans la même interview.
Toutefois, il ne s’agit pas de blâmer Grégoire Lefouoba ! Non. Chacun est libre de faire ce qu’il veut. En prof de philo qu’il est, Grégoire Lefouoba a de toute évidence lu et compris la dialectique d’Hegel. Oui, au sens de la logique formelle, la contradiction est une erreur ou une faute de raisonnement. Mais au sens dialectique, la contradiction constitue une opposition (qui peut exister au sein de la réalité) qui ne débouche pas forcément sur la dislocation des deux éléments contradictoires. Qu’est-ce que la dialectique sinon la superposition de deux principes opposés mais qui se sont combinés ? L’ancien maire de Kellé se renie, sans s’anéantir.
Autre élément d’analyse, c’est que Grégoire Lefouoba n’a jamais rompu avec le PCT. Voire avec le gourou de la première secte du Congo. « Les philosophes adorent les tyrans. C’est une déformation professionnelle », écrit Hannah Arendt.
Vivianne Bantsimba
Lire aussi : Les désillusionnés de la nouvelle République |