
L'école ou la nourriture?
Normalement, la question ne devrait pas se poser. Il est bien évident que les deux sont indispensables à l'enfant et que tout parent devrait être capable de les assurer. Pourtant, au vu de la conjoncture très difficile, certains parents congolais sont confrontés à ce dilemme. Ils sont obligés de choisir entre envoyer leurs enfants à l'école et leur donner à manger. Ils doivent répondre à cette question simple: qui des deux est plus importante pour l'enfant? Le bon sens consisterait à dire aussi simplement que les deux sont indispensables à son épanouissement: l'une sur le plan physique et l'autre sur le plan intellectuel.
Un vrai dilemme
Dans ce dilemme, la nourriture tend à prendre rapidement le pas sur l'école ; pour beaucoup de parents, il vaut mieux avoir son enfant bien nourrit à la maison. L’argent qui aurait dû servir à lui payer les cours servirait à lui acheter à manger. La précarité ne permettant pas d’assurer les deux !
Pendant des années, l'école était quasiment gratuite et les parents, profitant d'un environnement social plus favorable, pouvaient envoyer leurs enfants à l'école tout en les nourrissant. Mais, aujourd'hui, avec la précarité et la prolifération des écoles privées, l'école publique étant négligée, le coût de la scolarisation a largement augmenté. Les parents, de plus en plus désemparés, sont amenés à réfléchir sur la bouffe ou l’alphabet.
A première vue, le problème pourrait faire sourire plus d’un. Seulement, il est préoccupant car les écoles publiques ont vu leurs taux de fréquentation baissés parce que les élèves, n’ayant rien à manger, préféraient rester chez eux plutôt que d’aller à l’école. Dans certaines campagnes, ils parcourent plusieurs kilomètres affamés pour aller à l’école. Il n’est donc pas étonnant que leurs parents choisissent de les garder à la maison.
Le sujet est tellement préoccupant que l’état congolais avec le concours du Programme Alimentaire Mondial (PAM) et de l’IPHD (International Parternaship for Humanitary Development), une ONG américaine, avait mis en place des cantines dans plusieurs écoles primaires publiques.
Initiative qui a permis, entre de 2007 et 2011, d’augmenter le taux de fréquentation dans les écoles. L’espoir de manger attirant de nombreux élèves. Le repas, composé essentiellement de haricot, de riz, de thon en conserve et de la farine, est la principale attraction pour les élèves. L’heure du repas est considéré, pour certains, comme le meilleur moment de la journée. Les calculs et les dictées arrivant en seconde position. ‘’On éduque plus les gosses, on en fait un élevage’’ déplore un parent d’élève. Un avis que partagent plusieurs autres parents que, bien que louant l’initiative, se demandent ce qui arriverait si les cantines venaient à fermer leurs portes.
Question pertinente n’est-ce pas ?
C’est ce qui est en train de se produire et les responsables des écoles sont inquiets car, qui dit fermeture des cantines, dit baisse du taux de fréquentation. En un mot, s’il n’y a plus de nourriture, les élèves désertent les cours. Pour les rassurer, un plan d’action a été adopté, le 7 octobre 2014, lors d’un atelier organisé, à Brazzaville, par le PAM en partenariat avec la Banque Mondiale et le ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et de l’Alphabétisation. Ce programme, dénommé Saber, ‘’est un outil d’évaluation permettant à chaque pays d’évaluer son système d’alimentation scolaire et de se situer par rapport aux meilleures pratiques internationales en la matière’’. Ce plan d’action qui vise à remédier aux lacunes du système d’alimentation scolaire congolais et d’aligner le pays sur les normes internationales a été rendu possible grâce au diagnostic de la situation de l’alimentation scolaire fait à l’issue d’un atelier organisé en juin 2014. Ce qui, en effet, est très rassurant pour les responsables d’écoles qui pourront ainsi remplir leurs classes.
Aussi louable que soit ce type d’initiative, on sait bien que ventre affamé n’a point d’oreilles pourtant, une chose saute aux yeux : pour le Congo, le plus important c’est que les classes soient remplies. Que ces mêmes élèves étudient dans les conditions précaires (insuffisance des tables-bancs, manque de manuels scolaires, absence de bibliothèques et parfois insuffisance d’enseignants dans les zones rurales,…) ne dérange personne outre mesure. Tout ce qui compte c’est l’affluence ! L'éducation est un secteur sensible qui nécessite qu'on réfléchisse et qu'on propose quelques solutions pour une sortie de crise. Seulement, personne n'a encore compris ou tenté d'en parler. "L’école ou la nourriture" n'est qu'une des nombreuses questions de ce secteur important pourtant négligé au Congo. On croit que l'éducation à l'école, c'est simplement remplir les classes.
Plus les classes sont garnies, plus les directeurs ont l’impression de faire du très bon boulot. "Grâce à ces repas, le taux de rétention est maintenant de 92 pour cent et le taux d’abandon est seulement de quatre pour cent. La nourriture renforce les effectifs dans les écoles", se réjouissait, en 2011, Alix Loriston, alors représentant du PAM au Congo. Un avis qui est loin de faire l’unanimité auprès des parents soucieux de l’avenir de leurs enfants.
‘’Le fait de gaver les enfants de nourriture, dont l'origine est aussi sujette à questions, ne garantit en rien ni une bonne qualité de l'éducation ni une performance scolaire remarquable. Si le seul objectif visé par ce bidon programme de distribution de nourriture, ce qui est par ailleurs une honte pour un pays qui a toujours investi tant d'argent dans l'agriculture, est de remplir les salles de gloutons qui en ressortent la tête remplie de bouillie, je trouve que c'est lamentable. Ces futurs diplômés, mais semi analphabètes, sont les mêmes qui risquent leur vie sur des radeaux de fortune en Méditerranée en quête d'un eldorado’’ s’indigne un autre parent d’élève qui souhaiterait qu’à la place de la bouffe, qu'on rendre l'école plus attractive avec des salles multimédias, des salles de jeux éducatifs et des laboratoires. Ce qui serait plus avantageux pour la formation de l’élite. Être bien nourri c'est bien mais être instruit est tout ce que les enfants congolais souhaitent!
Anthony MOUYOUNGUI
Journaliste