
Terrot et Peya ont non seulement un prénom en commun, mais aussi une même concep-tion de la démocratie en Afrique… Décryptage.
Il y a des propos qui n’ont pour finalité que d’alimenter le fleuve de la parole humiliée et des « égarements des contraires » ; il y a des propos qui donnent le tournis, l’envie de vomir tripes et boyaux (excusez le baroquisme)… Dans une interview du 30 mai dernier, parue dans le journal Les Afriques, le président du groupe d’amitié France-Congo à l’Assemblée nationale, Michel Terrot, a été d’une condescendance abjecte doublée d’un anachronisme vulgaire. Ex-trait : « Que ce soit dans un camp ou l'autre, plus il y a de la stabilité, mieux c'est pour le cli-mat des affaires. C'est ce que nous dit la communauté d'expatriés. Par ailleurs, j'ajoute que toute idée d'ingérence est choquante. Ce n'est pas à la France de délivrer des brevets de bonnes ou mauvaises conduites. » Et de poursuivre : « Ecoutez, c'est au peuple congolais de trancher. J'avais été au Congo en 2006-2007 quand Denis Sassou Nguesso était alors retranché dans son camp, ce n'est pas beau à voir. Et la stabilité politique est garante du développement. C'est la raison pour laquelle je pense que le continent doit éviter de faire des aventures... Et on peut dire que je m'efforce, d'une certaine façon, à être moins moraliste. Pour une simple raison : la démocratie que nous connaissons en Occident ne peut s'appliquer stricto sensus en Afrique ou ailleurs, car il faut tenir compte des aspects culturels. » On croit lire Michel Peya dans son livre Entre le bon sens et l’alternance absolue…
On l’aura compris, le climat des affaires prime sur le bien-être des populations, voire même sur la stabilité politique ; oui, c’est le climat des affaires qui préside à la vie d’un pays afri-cain. Une canicule dévastatrice ne favoriserait pas la floraison des affaires. Alors, coûte que coûte, la personne qui garantit le mieux le climat des affaires doit rester au pouvoir, même s’il perd une élection. Fin de partie ! Vive la dictature ! Au ça a le mérite d’être clair. Tous ceux qui cherchent les raisons de longévité des dictatures en Afrique, le député français Michel Ter-rot leur donne un élément de réponse.
Une seule définition de la démocratie partout ailleurs
Quelle aberration que ce discours d’une autre époque ! Dire que la démocratie à l’Occidentale n’est pas transposable en Afrique, qu’elle apparaitrait comme « un luxe pour l’Occident et une erreur pour l’Afrique », relève d’une cécité assez cétacée ; c’est une grande ineptie. Non, l’Africain n’est pas irréductible à la démocratie. Empruntant l'idée à John Stuart Mill, Max Weber évoque le « polythéisme des valeurs », la neutralité axiologique ou la « liberté à l'égard des valeurs » (Wertfreiheit) qui recommande « d'éviter les jugements de valeur et de s'en tenir à l'observation de ce à quoi les groupes humains accordent eux-mêmes de la valeur ou, en résumé, de ce que Weber appelait le « rapport aux valeurs ». Il n’en reste pas moins qu’il n’existe qu’une seule définition de la démocratie : le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple… Non, « démocratie » ne peut être l’objet d’un polythéisme de définitions. Donc elle est la même partout.
En fait, Michel Terrot entre bien dans la description que fait Frédéric Amiel, en 1881, du Français : « Le Français place toujours une formule, une conviction, des arguments à priori, une abstraction et l’artificiel au-dessus de la réalité. Il évite les descriptions pour mieux se lancer dans les généralisations. Il imagine qu’il comprend l’homme dans sa globalité alors qu’il ne casse même pas la coquille de sa personnalité et qu’il ne comprend aucune autre na-tion que la sienne. »
Bedel Baouna
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