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Gabon-Guinée Équatoriale : la guerre des Nguema a bien lieu

Publié le Mardi 5 Septembre 2023
Gabon-Guinée Équatoriale : la guerre des Nguema a bien lieu

Alors que le général Brice Oligui Nguema a prêté serment ce lundi 4 septembre devant une Cour Constitutionnelle rétablie pour l’occasion dans ses fonctions, le vice-président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mangue, lui a lancé une ogive. Explications.

Après avoir renversé le président Ali Bongo dont il était le chef de la Garde Républicaine, le général Brice Oligui Nguema est allé vite, multipliant en quelques jours les rencontres avec les « forces vives de la Nation », les diplomates et les organisations internationales, pour expliquer les raisons de son putsch : « éviter un bain de sang, mettre un terme à une corruption massive et à une gouvernance catastrophique » après 55 ans de dynastie Bongo. Dans la foulée, il a prêté serment ce lundi 4 septembre devant une foule enthousiaste : « Je jure devant Dieu et le peuple gabonais de préserver en toute fidélité le régime républicain, de préserver les acquis de la démocratie », a déclaré devant des juges de la Cour constitutionnelle le général de brigade en costume d'apparat rouge de la Garde républicaine (GR), l'unité d'élite de l'armée qu'il commandait. Et de promettre des « élections libres » et « transparentes »...

Il n’a toujours pas précisé la durée de sa transition, mais une chose est sûre : d’ores et déjà, l’opposition gabonaise se déchire. Si celui qui affrontait Ali Bongo à la présidentielle, Ondo Ossa, exige la vérité des urnes, Raymond Ndong Sima, ancien Premier ministre d'Ali Bongo, lui, prend ses distances : « Demander un recomptage des voix n'est pas raisonnable, on ne peut pas se fier à ce genre de matériaux », et pour cause, l’élection a été tronquée, a-t-il dit auprès de l’AFP, avant de poursuivre : « Nous devons discuter avec les militaires, qu'ils ne s'enferment pas en nous reprochant de ne pas avoir participé à la transition.» Pour Ndong Sima donc, il n’est pas question de faire le « procès d'intention » aux putschistes.

L’hôpital qui se moque de la charité

Au même moment se tenait à Malabo en Guinée Équatoriale la 4ème session extraordinaire de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement de la CEEAC (Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale) au sujet du Gabon. Selon le communiqué final, rendu public par la présidence centrafricaine, le Gabon a été suspendu dans toutes ses instances jusqu’au retour à l’ordre constitutionnel. Ce faisant, les présidents centrafricain, équato-guinéen, congolais et angolais, ainsi que le Premier ministre du Sao Tomé-et-Principe, ont sommé les putschistes gabonais d’organiser un dialogue entre les acteurs politiques gabonais afin de faciliter dans un bref délai le retour à l'ordre constitutionnel.

C’est dans cet esprit que, quelques heures plus tôt, rapporte le site LSI Africa, que le vice-président équato-guinéen, Theodoro Obiang Nguema Mangue, a dégainé son ogive : « Les Gabonais ont désigné Albert Ondo Ossa comme vainqueur. Pourquoi le coup d’État passe-t-il encore avant les résultats ? L’Occident ne les manipule-t-il pas pour assurer la continuité d’un membre de leur système et empêcher Ondo OSSA d’accéder au pouvoir? Le général Brice Oligui Nguema doit engager immédiatement une transition et rendre le pouvoir aux civils. C’est la seule manière de respecter le vote du peuple gabonais.»

Anticipant les attaques, son homologue et homonyme gabonais a tenu, lors d’un échange avec la presse, à mettre les points sur les I : « Quand une épreuve du bac est fraudée quelque part, le bac est annulé pour tout le monde, on ne vient pas se plaindre en disant "j'avais 8 ou 18", attendez la prochaine épreuve et vous aurez 18. (…)Notre étonnement est grand lorsqu’on entend certaines institutions internationales condamner l’acte posé par des soldats qui n’ont fait que respecter leur serment sous le drapeau : sauver la Patrie au prix de leur vie.»

L’attaque de Teodoro Obiang Nguema Mangue s’apparente à tout le moins à l’hôpital qui se fout de la charité. Le vice-président de la Guinée Équatoriale n’oublie pas que s’il règne, s’il pille les deniers publics pour davantage de voitures de luxe et de luxueux appartements en Europe, c’est grâce à la technique du coup d’État, d’abord militaire, ensuite institutionnel. Sans modiffication de la Constitution, il ne serait pas vice-président aujourd'hui, le successeur naturel de son père. ( Si les textes fondamentaux avaient été des personnes humaines, elles auraient avalé de l’arsenic pour s’épargner des souffrances interminables. Car, à peine nées, aussitôt bafouées. Violées. Les 3/4 des Constitutions africaines présentent une face défigurée. Du Maghreb à l’Afrique australe en passant par l’Afrique de l’ouest, de l’est et centrale, les Constitutions subissent une chirurgie dramatique perpétuelle, comme pour mieux les adapter aux souhaits de ceux qu’elles servent. Pauvres Constitutions !)   

« Retour des coups d’État » ou « Coup d’État permanent ? »

Mais revenons vite au dernier pronunciamiento en date en Afrique ! La presse, française surtout, ne l’a pas isolé de ceux des pays d’Afrique de l’Ouest – le Mali, la Guinée-Conakry, le Burkina Faso et le Niger –, recourant au registre médical : épidémie, contagion. Mais est-ce le cas ? A fortiori, le présupposé « Retour des coups d’État » est infondé, voire même relève de la mauvaise foi. Et pour cause : il ne s’agit ni plus ou moins d’un « retour des coups d’État » en Afrique francophone en particulier. Ni d’une épidémie. Dans cette partie de la planète terre, les coups d’État ne se sont jamais endormis, tels des volcans. Au contraire, les putschs sont restés éveillés et très actifs d’ailleurs, faisant et défaisant les roitelets. Depuis l’indépendance, les coups d’État, militaires ou institutionnels, sont le soleil des dirigeants africains, c’est ce qui leur a toujours permis d’accéder et de se maintenir au pouvoir ; et, revers de la médaille oblige, c’est ce qui les évince aussi. Les experts en la matière sont les autocrates qui ont décidé à Malabo de suspendre le Gabon de toutes ses instances. Mais quelle leçon de morale peut recevoir Brice Oligui Nguema du triangle des Bermudes constitutionnel Obiang-Sassou-Biya ? Ou de Touadera qui vient de leur emboîter le pas en changeant la Constitution ?

Outre Technique du coup d'État – une analyse implacable des différentes typologies de coup d'État et de leurs constantes –, les experts en putschs qui se sont retrouvés à Malabo ont certainement lu Mitterrand. Dans Le coup d’État permanent paru en 1964, il est question de la toute-puissance du Général de Gaulle, lequel a trahi l’esprit de la Constitution de 1958, lequel, toujours selon Mitterrand, passe du « gaullisme » à « de Gaulle plus la police ». Mitterrand pointe du doigt aussi l’instrumentalisation de la justice.

Bien évidemment, « quand le peuple est écrasé par ses dirigeants, avec la complicité des juges, c’est à l’armée de lui rendre sa liberté », disait l’ancien président du Ghana Jerry John Rawlings, que le général Brice Oligui Nguema a repris à son compte dans son discours d’installation, empreint de références à Dieu, à Desmond Tutu.

Bedel Baouna

  

 

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