
Il y a un peu plus de deux semaines, le 4 novembre 2020 exactement, disparaissait des suites du coronavirus, la Princesse-poétesse malgacho-comorienne Volamamy de Maromandia, alias Saïd Kharida, de son nom d’auteur Houria. Rencontre avec le poète Thierry Sinda, - fils de Martial Sinda, premier poète de l’Afrique Equatoriale Française, et lui-même Président-fondateur du Printemps des Poètes des Afriques et d’Ailleurs, - pour évoquer l’itinéraire et l’œuvre de feu la poétesse de la Néo-Négritude, Houria.
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est sur le plan théorique la Néo-Négritude que vous avez initiée en 2004 ?
Thierry Sinda : De manière théorique, comme je l’ai répété à maintes reprises depuis 16 ans, ici et là, la Néo-Négritude est : « La revalorisation culturelle du monde noir dans les lettres françaises à une époque néo ou post coloniale ». La Néo-Négritude, tout comme la Négritude, est un mouvement diasporique des bords de Seine. Dés que l’on traverse la méditerranée ou l’Atlantique la Négritude et la Néo-Négritude redeviennent culture nationale ou régionale. Même Léopold Sédar Senghor, l’éminent poète et théoricien de la Négritude, n’a pas pu la faire exister au Sénégal lorsqu’il était Président de la République. La revue Ethiopiques qu’il a fondée à cet effet, s’est avérée être une revue sénégalo-sénégalaise. En effet, l’Afrique et les Outremers sont le siège du tribalisme et des luttes inter-régionales et interétatiques de pays voisins et frères, ce qui est à l’extrême opposé de la démarche de la Négritude et de la Néo-Négritude qui ont fleuri sur les bords de la Seine.
Pouvez-vous nous décrire la Néo-Négritude sur le plan concret du cercle poétique que vous avez initié à Paris, et situer la place de la Princesse- Poétesse Houria au sein de ce mouvement littéraire ?
TS : Sur le plan humain, la Néo-Négritude parisienne est une addition de poètes en chair et en os originaires de l’Afrique, de la Caraïbe et de l’Océan indien, lesquels apportent leur culture régionale spécifique dans un ensemble plus vaste qui œuvre pour la revalorisation et la fierté du monde noir, et plus globalement de l’Afrique, sur les bords de la Seine. Ces poètes, que je réunis, depuis 16 éditions du Printemps des Poètes des Afriques et d’Ailleurs, ont un nom, une origine, un bagage culturel, un tempérament et un style. Il y a des Martiniquais (Henri Moucle, Denise Chevalier, Romuald Chery…) ; des Guadeloupéens (Enide Darius Gorndien..), Des Barbadiens ( Iverlene Diallo…), des Sénégalais (Elimane Kane), des Ivoiriens (Jean-Baptiste Tiémélé), des Camerounais (Evelyne Pèlerin Ngo Maa), des Congolais (Léopold Congo Mbemba), des Béninois (Alain-Alfred Moutapam), des Algériens (Moa Abaïd, Habib Osmani), des Tunisiens (Monia Boulila), des Marocains (Fatima Chbibane), des Malgaches (La princesse Houria, Francine Ranaivo , Hanitr’Ony, Fredy Jaoffera..), etc. Mais la Princesse-Poétesse Houria apportait beaucoup plus que sa culture propre, elle était à part.
En quoi la Princesse-Poétesse Houria était-elle à part ?
TS : La Princesse-Poétesse Houria est à part, comme son nom de plume le signifie de manière on ne peut plus clair. « Houria » signifie liberté en… arabe ! Elle en est la parfaite personnification. Elle transcende tous préjugés culturels et ethniques. Cela s’explique par le fait qu’elle est une métisse malgacho-comorienne ayant parfaitement assimilé les deux cultures, - plus la culture française, - du fait de son haut lignage en tant que descendante à la fois de la Princesse malgache Volamamy de Maromandia (province de Majunga) et du Sultan Saïdina des Comores. La poétesse Houria est une Princesse qui a inscrit sa vie physique et d’écriture dans le sens du partage, de la dignité pour tous, et de la synthèse. C’est ainsi qu’au sein de la Néo-Négritude, elle a apporté des poèmes, qu’elle a nommés « biographiques et événementiels », faisant la promotion de figures du monde noir ou d’événements marquants du monde noir. Cheikh Anta Diop, Martin Luther King, Nelson Mandela, Léopold Sédar Senghor, Jacques Rabémananjara, Mongo Beti, Martial Sinda, Alioune Diop, Dox, Bernard Dadié…ont fait l’objet de « poème biographique ». Dans son genre poétique le dit oral prime sur l’écrit et la publication. Ses poèmes reposent sur des recherches historiques, mais ils n’ont pas une forme définitive, il lui arrive souvent de les modifier. Depuis les années 1990, elle s’est rendue dans de très nombreuses associations pour imposer et partager, tant bien que mal, sa poésie orale en guise d’entracte à des débats idéologiques voire politiques. Mais depuis 2004, sa maison est le Printemps des Poètes des Afriques et d’Ailleurs où elle fait partie du petit comité décisionnaire. Cela ne l’empêchait nullement de continuer d’aller partout, où elle pouvait diffuser sa poésie. Ce que la plus part des gens ne parvenait guère à comprendre dans son entièreté. Elle avait du souffle…et de la stratégie, mais ne faisait guère de concessions.
Est-ce que sa poésie très marquée par l’oralité, selon vous, se rapporte à un genre poétique traditionnel malgache ou comorien ?
TS : Pour les Comores je ne pourrai pas vous dire précisément, mais pour Madagascar je dirai tout à fait. En 1987, j’ai enseigné le français à l’Ecole française de Majunga. Mahajunga, en malgache, était la capitale du royaume Sakalava dont dépend Maromandia. Notre amour de la terre de Majunga nous rapprochait et nous rendait complice en dehors de la poésie et au-delà de notre combat néo-négritudien. On pourrait comparer ses poèmes « biographiques et événementiels » à la poésie sôva de la région de Majunga. Cette poésie célèbre une personne ou à un fait historique lors de fêtes de village. C’est ainsi que ses « poèmes biographiques » sont à la fois prose et poésie, si l’on utilise les critères et classements esthétiques occidentaux. Sa pâte de poétesse à la manière occidentale transparaît dans d’autres poèmes, notamment dans poèmes d’amour Néo-négritudiens qu’elle a écrit à ma demande en puisant dans les eaux vives de son inspiration pour satisfaire à l’Anthologie des poèmes d’amour des Afriques et d’Ailleurs que j’ai signée aux éditions Orphie en 2013.
Donnez-nous à lire, pour conclure de courts extraits à la fois de la poésie de la Princesse Houria et du poème hommage que vous lui avez dédié dernièrement.
TS : Pour la Princesse Houria je vous citerai ces vers d’amour où transparaît son Moi malgache qui nourrit bellement la Néo-Négritude : « Dégustons ces sambos appétissants/ Egayant nos palais sensibles et exigeants/ (…) Toi qui a toujours partagé mes secrets/(…) Buvons avec volupté/ Ce betsabetsa qu’EROS pour nous a tiré »(in mon Anthologie des poèmes d’amour des Afriques et d’Ailleurs). On a le mot « sambos » malgache, qui correspond au « Samoussa » indien, et le mot « Betsabetsa » qui désigne une bière traditionnelle malgache. Tout cela plonge le lecteur dans une ambiance bien malgache en français. En ce qui me concerne je vous livrerai en primeurla strophe suivante de mon poème Princesse Volamamy de Maromandia : « NON/ Princesse/ Princesse Volamamy /De Maromandia/ Notre action/ Sur les bords de la Seine/ Multicolore/ n’était point/ VAINE. »
Propos recueillis par Bedel Baouna
Principales publications de la Princesse Houria
-Les grandes figures du monde noir en poésie par Houria, chez l’auteur
-Poèmes recensés etprésentés dans l’Anthologie des poèmes d’amour des Afriques et d’Ailleurs par Thierry Sinda (préfaces : Abdou Diouf, Jacques Rabémananjara et George Pau-Langevin, Orphie 2013)
-Anthologie hommage à Aimé Césaire, par collectif, Idom éditions
-Hommage à Nelson Mandela par collectif, Cé ! neg éditions
Légende photo : La Princesse-Poétesse Houria et Thierry Sinda (13 septembre 2020)