
On en viendrait presque à manquer de mots pour qualifier un tant soit peu ce qui se passe au Congo, sans temps mort aucun. Une opération d’escroquerie à grande échelle impliquant un médecin du travail ? La voracité sans limites du système Sassou ? Le docteur Ebatetou Atabo s’apprêterait-il à racketter les Congolais ? se dirigerait-on vers la privatisation du service médical au Congo-Brazzaville ? Nul ne le sait.
En tout état de cause, l’attitude du docteur Ebatetou Atabo d’accepter seul cette exclusivité procède d’une parfaite magouille. Incompréhension ! Sinon comment comprendre le fait que son cabinet, et uniquement son cabinet à lui, ait été choisi par le ministre Hugues Ngouélondélé pour établir le certificat unique d’embauche pour l’ensemble des demandeurs d’emploi du Congo ?
C’est par la note numéro 032 du ministère de la Jeunesse, des Sports, de l'Éducation civique, de la Formation qualifiante et de l'Emploi, que les Congolais ont appris que, dorénavant tout demandeur d'emploi au Congo-Brazzaville, devra passer par le Cabinet médical LUIZ pour obtenir un certificat médical d’aptitude à l’embauche. Ce cabinet est dirigé par le docteur Ebatetou Ebenguela Atabo, spécialiste en médecine du travail.
Il est mentionné dans ledit arrêté qu’il s’agit d’un certificat médical unique à l’embauche. Mais cette décision laisse sans voix bon nombre de professionnels congolais, qui exerçent au Congo ou à l’étranger. Et, a priori, ce « médecin » vient d’empocher un gros lot dans ce pays où , a fortiori, conflits d’intérêts et mafia sont légion.
Tout demandeur d’emploi au Congo devra accepter que le docteur Atabo fasse ou fouille leurs poches : c’est le prix à payer pour décrocher un emploi au Congo ! Trêve de plaisanterie ! Où en est-on avec l’éthique ? Quid du Serment d’Hippocrate ? Cela va sans dire.
Cette note signée du ministre Hugues Ngouélondélé nous emmène à nous interroger aussi bien sur le fond que sur la forme. Premièrement, l’offre de service médical congolais est en grande partie publique, en dépit de son imperfection (Cf mon ouvrage « Congo-Brazzaville, un système sanitaire dystopique ». La majorité de la population vivant avec moins d’un dollar – les fonctionnaires et les étudiants accusant plusieurs années d’arriérés de salaires et de bourses –, 99% des demandeurs d’emploi ne seront pas en mesure de s’octroyer un tel service payant.
Deuxièmement, le Congo est n'est peuplé que de cinq millions d’habitants. L’effectif des médecins, lui, se situerait aux alentours de 500 ou 600. Cette exclusivité pour le cabinet LUIZ, au détriment d'autres médecins, est éloignée des bonnes pratiques professionnelles. Sous d’autres cieux, où les règles de l’art sont respectées, tout médecin (généraliste ou spécialiste) a le droit de délivrer un certificat médical d’embauche à tout demandeur. Ce qui nous oblige à nous poser une énième question : le docteur Atabo disposerait-il des compétences exceptionnelles qui lui conféreraient cette exclusivité ?
Troisièmement, le Congo est un pays coupé du reste du monde par l’absence d’infrastructures routières dignes de ce nom, et même de la connexion d'internet. De fait, se déplacer d’une localité à une autre constitue toujours une odyssée. Dans ces conditions, comment les Congolais qui résident à 500 ou 900 kms de Brazzaville, par exemple, pourront-ils se rendre au cabinet médical LUIZ à Brazzaville pour se procurer le certificat unique d’embauche ?
Ça sent la mafia
Pour rappel, le concept de "Certificat médical unique à l’embauche" parait désuet sur le plan scientifique. En effet, tous les emplois ne présentent pas les mêmes risques pour les futurs employés. Certes, l’habilitation à délivrer des certificats médicaux d’embauche pour certaines catégories d’entreprises à risques comme les industries chimiques, les plateformes pétrolières, relève exclusivement de la compétence des médecins agréés par ces entreprises ! Mais cette exclusivité ne s’étend pas aux entreprises considérées comme à risques faibles. Dans les emplois à non-risques, tout médecin en a le droit. Donc, cette attribution exclusive au cabinet médical LUIZ pour tous les demandeurs d’emplois au Congo, est sans fondement, voire grotesque. En France, par exemple, la Loi Khomri qui abroge la visite médicale systématique à l’embauche, confère uniquement au médecin spécialiste en médecine du travail, l’autorisation de délivrer les certificats médicaux d’embauche pour des emplois à risques. Lorsque le décret d’application de cette loi sera promulgué, bon nombre de professionnels de santé tels des étudiants en médecine, des kinésithérapeutes, infirmières, etc, seront autorisés à établir ce genre de documents pour des emplois à non-risques. Mais, à ce jour, dans la plupart des pays, tout médecin est autorisé à délivrer un certificat d’embauche pour les emplois à non-risques. Donc, cet arrêté du ministre Hugues Ngouélondélé prive les autres médecins congolais d’un acte légitime. Et, à l’évidence, le Congo reste la plus fallacieuse des exceptions. La dystopie sanitaire congolaise est telle qu’il ne faut pas s’attendre à une réprobation du Conseil de l’Ordre des médecins congolais.
En décortiquant cette note ministérielle, plusieurs zones d’ombre persistent. Cet arrêté ministériel émane d’un département dont le ministre n’est autre que Hugues Ngouélondélé, ancien maire de la ville de Brazzaville et beau-fils du dictateur Sassou. Les Congolais se souviennent de la voracité avec laquelle Ngouélondélé a géré, dans l’opacité la plus totale, les budgets de la Mairie centrale de Brazzaville durant les années du boom pétrolier, laissant ainsi au rouge les comptes bancaires de la première municipalité de Brazzaville.
En réalité, un fait constant demeure au Congo : le clan Sassou n’est jamais loin derrière toutes les manœuvres mafieuses. Toutes les institutions congolaises, celles de la santé y comprises, versent dans la mafia et les conflits d’intérêts, à l’image du trafic des carnets de vaccination, du trafic des certificats de contrôle sanitaire des aliments à l'embarquement à l'aéroport international de Brazzaville (délivrés par les médecins du service d’hygiène de Brazzaville dont le clan se partage le butin), etc. Tant qu’à faire, on peut ajouter à cette liste noire la société des corbillards de Brazzaville, lesquelles appartiennent à la fille de son père, Ninelle Sassou, épouse Ngouélondélé.
Tout porte à croire que le docteur Atabo est en collusion avec le système mafieux instauré par Sassou et son clan. De fait, il s’écarte du serment d’Hippocrate.
De mon point de vue, cette exclusivité attribuée au cabinet médical LUIZ, est une véritable opération de « rackettage » des Congolais.
Docteur Thierry-Paul IFOUNDZA, Médecin-pneumologue, écrivain